Quand un Proverbe Efface l'Âne en Soi
Le proverbe, "Les mouches changent d'âne", porte en lui une certaine résignation face à l'opportunisme du monde. Il évoque ceux qui s'accrochent tant qu'un bénéfice est à tirer, puis s'envolent dès que la source se tarit, sans un regard en arrière. C'est l'image d'une solitude banale, celle de l'abandon. Pendant longtemps, cette phrase n'était qu'un fragment de sagesse populaire parmi d'autres, une observation distante de la nature humaine.
Puis vint un temps de deuil. Un vide immense, lourd, qui avalait chaque étincelle, chaque élan. Les bras coupés, l'envie éteinte, le monde se réduisit à une bulle étouffante. Dans cet état, une sensation persistante de piqûres. Non pas physiques, mais subtiles, incessantes. Une énergie aspirée, une joie qui s'épuisait de jour en jour. C'était là. Cette impression d'être cet âne, exposé, immobile, drainé par des mouches invisibles qui se nourrissaient de ce qui restait.
Étrangement, la conscience de mon rôle dans cette scène m'échappait. J'étais cet individu qui avait cru que son propre pouvoir s'était évaporé avec la disparition d'un ami, d'un partenaire. Oui, j'étais cet âne. Et bien plus que cela. J'étais un âne si profondément enfoncé dans son rôle, si consumé par la douleur, que j'en avais oublié qui j'étais réellement. J'avais laissé ces "mouches" sucer ma moelle, jour après jour, sans me rendre compte de l'ampleur du pillage.
Le miroir, un jour, ne renvoya qu'un visage inconnu. Étranger, vidé. Le choc fut silencieux, mais profond. Et alors, cette vieille phrase, "Les mouches changent d'âne", refit surface, portée par un vent nouveau. Elle ne sonnait plus comme un simple constat. Elle résonna comme une vérité brute, dénuée de jugement, mais d'une clarté perçante.
Ce proverbe murmura alors : "Tu n'es pas un âne."
Il y avait eu un oubli, une amnésie de soi. Au fond de l'âne assailli, sommeillait toujours le cheval. Le cheval conquérant que j'avais toujours été, mais que j'avais laissé croire qu'il n'était plus qu'un âne. C'était une réalisation intérieure, sans fracas ni grand geste. Juste la compréhension que la source de l'attraction des mouches n'était pas l'âne lui-même, mais la conviction d'être un âne.
Dès cet instant, quelque chose changea. Une imperceptible réalignement. Non pas une lutte, pas un appel à l'action forcé. Juste le souvenir, tranquille, de la propre force. Et alors, les "mouches" commencèrent à perdre de l'intérêt. Elles finirent par changer d'âne, s'éloignant pour chercher un autre cheval qui, pour un temps encore, se croirait un âne.
L'âne en moi s'est tu, non pas par contrainte, mais par la simple redécouverte de ce qu'il masquait. Cette phrase, "Les mouches changent d'âne", a alors cessé d'être un proverbe sur les autres. Elle est devenue l'écho discret d'une mue. Pour moi, et peut-être, à travers ces mots, pour quiconque l'entend.